mercredi 15 avril 2015

Ukraine: une "bombe" nucléaire pour l'Europe

L'Ukraine, une puissance nucléaire à haut risque

LE MONDE | • Mis à jour le | Par
 
Un incident est survenu vendredi 28 novembre dans la centrale nucléaire de Zaporijia.

L'incident qui s'est produit vendredi 28 novembre dans la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia, dans le sud-est du pays, et qui n'a été révélé par les autorités que mercredi 3 décembre, n'est source d'« aucune menace », a affirmé le ministre ukrainien de l'énergie, Volodymyr Demtchichine. Il s'agirait d'un court-circuit dans le système électrique du réacteur 3 de la centrale, qui n'a pas affecté le réacteur lui-même et n'a donc entraîné aucun rejet radioactif. Des informations confirmées par Michel Chouha, expert à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français (IRSN), qui écarte lui aussi tout danger de contamination radioactive.
Cet incident n'en met pas moins un coup de projecteur sur la question de la sûreté nucléaire en Ukraine. Outre la centrale de Tchernobyl – à l'origine, le 26 avril 1986, de la plus grande catastrophe de l'histoire du nucléaire civil et dont le dernier des quatre réacteurs a été définitivement arrêté en 2000 –, le pays possède quatre autres sites atomiques : Rovno et Khmelnitski au nord-ouest, Ukraine-sud au centre et Zaporijia au sud-est. Ils totalisent 15 réacteurs d'une puissance cumulée de 13 gigawatts, qui assurent près de la moitié de la production d'électricité nationale (46 % en 2012).

DOUBLE MENACE

Or, la crise actuelle entre l'Ukraine et la Russie constitue une menace pour la sûreté de ces installations. Une double menace même. La première est liée aux tensions avec les séparatistes prorusses. La seconde – et la plus sérieuse – à la très forte dépendance de Kiev vis-à-vis de Moscou, pour la fourniture du combustible et des composants de ses réacteurs, autrement dit, leur bon fonctionnement.
Le premier risque, c'est que l'un de ces sites soit accidentellement touché par un engin militaire, obus ou roquette, sans même envisager une attaque terroriste délibérée. La simple destruction du réseau électrique extérieur, ou celle des générateurs de secours, mettrait à mal le refroidissement des cœurs des réacteurs, conduisant alors potentiellement à un accident majeur du type de celui de Fukushima au Japon.

ZONE CONFLICTUELLE

Ce scénario, s'il n'est guère vraisemblable, ne peut être totalement exclu. En avril, des experts de l'OTAN s'étaient rendus sur place, afin, a rapporté un responsable de l'Alliance atlantique à l'agence Reuters, de « conseiller les autorités ukrainiennes sur les plans de secours et les mesures de sûreté dans le contexte de possibles menaces sur les infrastructures énergétiques critiques ». Cela, même si l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) indique que, selon son homologue ukrainien, « la production nucléaire n'est pas affectée par les événements du point de vue de la sûreté ou de la protection physique des sites ».
La centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d'Europe, avec six réacteurs, est à cet égard la plus exposée, car proche de la région orientale du Donbass. Une zone où la situation reste très conflictuelle. Le cessez-le-feu signé le 5 septembre entre Kiev et les rebelles prorusses n'a pas empêché la poursuite des combats, notamment dans la principale ville, Donetsk. Et le nouveau cessez-le feu, qui doit entrer en vigueur vendredi 5 décembre, ne suffit pas à dissiper les craintes.
« Le risque n'existe pas seulement pour Zaporijia, mais pour toutes les centrales », estime du reste Jan Haverkamp, consultant sur les questions nucléaires pour Greenpeace International, basé à Gdansk (Pologne). « En août, ajoute-t-il, les autorités ukrainiennes ont autorisé, sur leur territoire, un transport de combustibles usés entre la Hongrie et la Russie, ce qui était inacceptable en temps de guerre. »

TRIBUTAIRE DE LA RUSSIE

Mais, davantage que d'un sabotage ou d'une frappe hypothétiques, le danger principal vient des centrales ukrainiennes elles-mêmes. « Leurs 15 réacteurs sont de conception soviétique, explique Michel Chouha. Leur exploitation reste tributaire du combustible et des pièces que la Russie livre à leur opérateur, Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire d'Ukraine, entreprise d'Etat]. Si le conflit venait à se durcir entre les deux pays, les relations entre le constructeur et l'exploitant pourraient être coupées, ce qui serait préjudiciable à la sûreté. » En cas de défaillance d'une pompe, d'une soupape ou d'un générateur de vapeur, l'exploitant se retrouverait alors en panne de pièces détachées, du moins certifiées conformes et dûment testées.
Or, les réacteurs ukrainiens, construits pour la plupart dans les années 1970 et 1980, sont vieillissants. En outre, de type VVER (caloporteur et modérateur eau), ils souffrent de faiblesses structurelles, même si leur principe de fonctionnement est proche de celui des réacteurs à eau pressurisée occidentaux et notamment français.
POINTS FAIBLES DE LA CONCEPTION
Des analyses génériques menées, après l'accident de Tchernobyl, par des experts internationaux, avaient pointé « la sûreté insuffisante » des centrales d'Europe de l'Est – dont celles de l'Ukraine –, et identifié plusieurs « points faibles de la conception initiale ». Pour les plus anciens, une « liste des accidents pris en compte incomplète », avec des calculs présentant « trop d'incertitudes », ainsi qu'« une protection médiocre contre les incendies ou l'inondation interne ». Pour les plus récents, « un manque de diversification des moyens de refroidissement des principales pompes, y compris de sauvegarde », et « une autonomie insuffisante de la source de refroidissement ultime en cas d'accident ».
Cette vulnérabilité est d'autant plus préoccupante qu'avec la période hivernale, l'Ukraine, dont certaines régions souffrent de coupures d'électricité quotidiennes, doit utiliser son parc nucléaire au maximum de ses capacités. « Une situation dans laquelle la sûreté nucléaire doit être au plus haut niveau », souligne Michel Chouha.

APPROVISIONNEMENT EN COMBUSTIBLE

Dans ce contexte, l'approvisionnement en combustible nucléaire pose un problème crucial. Il est aujourd'hui fourni par la compagnie moscovite TVEL, une des branches du consortium Atomenergoprom, qui regroupe l'ensemble des acteurs de la filière atomique russe. Désireuse de diversifier ses sources, l'Ukraine s'est tournée depuis quelques années vers l'Américain Westinghouse, avec qui elle a conclu, en 2008, un accord pour la fourniture d'assemblages d'uranium enrichi.
Mais des essais, menés dans la centrale d'Ukraine-sud, ont mal tourné. Un document, daté du 13 octobre, de l'Association nucléaire mondiale rapporte que les tests ont été « jugés infructueux ». Ils auraient entraîné de lourdes pertes pour Energoatom, qui n'en a pas moins décidé, en avril 2014, de prolonger jusqu'en 2020 son accord avec Westinghouse. Cela, même si Energoatom a également annoncé, fin novembre, la signature d'un nouveau contrat avec TVEL pour la fourniture de combustible nucléaire sur la période 2015-2016.

RÉACTEURS PROLONGÉS DE VINGT ANS

Les médias russes citent, à l'envi, des experts et autres « vétérans du nucléaire civil » d'après lesquels le recours à des combustibles de fabrication américaine serait « une décision cynique et irresponsable », pouvant provoquer « une catastrophe comparable à celle de Tchernobyl ». Sans doute ce discours alarmiste se nourrit-il de la crainte de la Russie de voir son voisin s'émanciper de sa tutelle. Ce qui est sûr néanmoins, commente Michel Chouha, c'est que les assemblages d'uranium destinés aux réacteurs de conception soviétique ou à ceux de conception occidentale ont des spécifications bien différentes. Et que passer des uns aux autres exige « une procédure de qualification longue et rigoureuse ». D'où, à ses yeux, « une source supplémentaire d'inquiétude, à moins que l'Ukraine n'apporte la preuve d'une analyse de sûreté complète relative à l'utilisation du nouveau combustible ».
Le gouvernement ukrainien a pourtant décidé de prolonger de vingt ans la durée de vie de ses réacteurs, initialement conçus pour être exploités pendant trente ans. En septembre, le premier ministre, Arseni Iatseniouk, a confirmé la construction de deux nouvelles unités sur le site de Khmelnitski.
 Pierre Le Hir
Journaliste au Monde

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Frédéric, 47 ans et citoyen du monde.