jeudi 16 avril 2015

Destruction des ecosystèmes: crimes contre l'humanité

Les crimes contre la nature sont des crimes contre la paix et l’humanité

28 juillet 2014 / Valérie Cabanes



À l’heure où la prédation de l’homme sur son environnement n’a jamais été aussi intense, un mouvement mondial est lancé pour que le crime d’écocide soit reconnu au niveau du droit international comme un crime contre la paix. Un moyen juridique indispensable et urgent pour que les agressions des grandes entreprises sur l’environnement ne restent plus impunies.

En 2010, la juriste britannique, Polly Higgins, a proposé que le crime d’écocide soit reconnu. Elle a ainsi proposé à la Commission du droit international des Nations Unies que le crime d’écocide devienne le cinquième crime contre la paix, au côté des crimes contre l’Humanité ou des crimes de guerre.
Dans la foulée, il y a deux ans, sept citoyens européens ont lancé une « initiative citoyenne européenne » (ICE) (1) dont le but était de faire reconnaître en Europe le crime d’écocide par le biais d’une directive européenne. Depuis janvier 2014, à la suite de l’ICE, le mouvement End Ecocide s’est globalisé en revendiquant la mise en place d’une justice internationale de l’environnement et de la santé.
Un nouveau concept juridique traduisant une réalité inquiétante
Le terme « écocide » est construit à partir du préfixe « éco- » - la maison, l’habitat (oikos en grec) – et du suffixe « -cide » - tuer (caedo en latin). Un écocide se définit par un endommagement grave et étendu d’un ou de plusieurs écosystèmes ou leur destruction, qui peut avoir des conséquences sur plusieurs générations.
L’écocide répond ainsi à plusieurs qualifications, en tant qu’atteintes au droit fondamental à la vie, au droit de l’homme à un environnement sain, aux droits des peuples autochtones à vivre selon leurs traditions ancestrales, aux droits des générations futures.
Le terme Ecocide avant l’ICE était quasiment inconnu du grand public en France, même si le concept de crime d’écocide est débattu depuis plus de quarante ans au sein de la Commission du droit international, en tant que crime de guerre suite à l’usage de l’agent orange au Vietnam dans un contexte de conflit armé et pour un comportement intentionnel aux effets particulièrement graves.
Puis en temps de paix pour qualifier des catastrophes environnementales hors du commun commises délibérément ou par négligence, dénommées selon les juristes écocide, géocide ou biocide. Cette commission avait à charge de préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ancêtre du statut de Rome sur les crimes contre la paix adopté en 2002. Nous avons eu le mérite de réactualiser le terme et de rouvrir un vieux débat juridique qui n’a jamais fait l’affaire des gros Etats pollueurs.

- Plateforme de forage d’un puits de gaz de schiste à Marcellus (Etats-Unis) -
Des pollueurs agissant en toute impunité
Nous demandons en effet de reconnaître la valeur des écosystèmes dans le maintien de la vie sur terre, valeur mise en lumière par la science mais totalement ignorée par l’économie et la politique. Le droit permettrait de rappeler cette évidence, à savoir que nous vivons dans un monde fini où toute forme de vie, dont l’humain, est interconnectée et interdépendante et que l’ère de l’anthropocène (2), que l’homme moderne a provoquée en deux-cents ans, est une forme de suicide collectif.
Le monde fait face à une immense menace pour sa paix et sa sécurité car les écosystèmes de la planète sont détruits à une vitesse et une échelle sans précédent. Nous épuisons nos ressources naturelles, et la raréfaction des ressources tels que l’eau potable, la nourriture, les métaux rares, le pétrole et d’autres ressources naturelles engendre une augmentation des conflits (3) dans le monde ainsi que des migrations climatiques.
Pallier à un manque juridique
Notre cadre juridique actuel ne possède pas les outils nécessaires pour mettre fin à la dégradation généralisée des écosystèmes causée par une activité industrielle dangereuse. Comment accepter la faiblesse des sanctions appliquées lors de l’affaire du Probo Koala par exemple dans laquelle la société Trafigura a été condamnée à une amende d’un million d’euros, sur un chiffre d’affaires annuel de 73 milliards de dollars, non pas pour trafic de déchets mais pour manquement à son obligation de révéler la nature des déchets toxiques transportés ?
De même, ne serait-il pas souhaitable de mieux discipliner certains PDG comme celui de Tepco qui est à l’origine de la décision de construire un mur de protection du réacteur de Fukushima de dix mètres seulement au lieu des treize recommandés pour des raisons d’économies budgétaires ?
Lever l’impunité des dirigeants de multinationales, de gouvernements ou d’institutions partenaires, concernant certaines catastrophes environnementales liées à l’utilisation de technologies dangereuses ou prédatrices semble aujourd’hui d’une nécessité urgente.
Il faut donc pour cela que les liens entre droits de l’homme et droit de l’environnement soient intrinsèquement reconnus par le droit pénal international. C’est déjà le cas dans de nombreuses conventions internationales depuis la déclaration de Stockholm en 1972, en tant que droits positifs mais non contraignants. La prochaine étape nécessaire est de faire reconnaître la destruction des écosystèmes comme un crime et établir des cours pénales pour le juger.

- Mine à ciel ouvert de Hambach en Allemagne -
Des efforts à poursuivre au niveau européen
En Europe, nous voulons que l’Écocide devienne un crime pour lequel des sociétés et des personnes puissent être jugées responsables selon le droit pénal et le principe de la responsabilité supérieure. Nous espérons faire interdire et empêcher tout Écocide sur les territoires européens ou le domaine maritime relevant de la législation européenne, ainsi que tout Écocide provoqué par des ressortissants européens, personnes physiques ou morales, en dehors de l’Europe.
Et nous demandons de prévoir une période de transition pour permettre la mise en place d’une économie durable.
A l’échéance de l’ICE le 21 janvier 2014, nous avons demandé à la Commission européenne l’autorisation de conserver les signatures récoltées, n’ayant pas atteint le million requis, et de transformer l’ICE en pétition traditionnelle à soutenir sur endecocide.eu. La Commission a donné son accord et a accepté que nous lui présentions le projet de directive en octobre 2014.
La nécessité d’une justice internationale de l’environnement et de la santé mondiale
Parallèlement, le mouvement est devenu mondial. Nous avons lancé un appel collectif le 30 janvier 2014 au Parlement européen pour la création d’une justice pénale internationale de l’environnement et de la santé. Une charte a été rédigée de concert avec neuf autres organisations qui peut être signée par toute association dans le monde. Une pétition citoyenne est aussi en ligne sur iecc-tpie.org.
Plus de 90 organisations nous ont déjà rejoints et des dizaines de milliers de citoyens la soutiennent. La pétition sera remise à Ban Ki-Moon au mieux à l’ouverture du Sommet sur le Climat de l’assemblée générale des Nations Unies en septembre prochain à New York.
Cette charte demande ultimement la reconnaissance du crime environnemental dans le statut de la Cour pénale internationale. Afin d’avancer dans sa mise en œuvre, nous réunissons en ce moment des experts du droit international et du droit de l’environnement pour préparer un amendement à ce statut afin qu’il soit porté par un ou plusieurs Etats devant l’Assemblée des Etats signataires et soumis au vote.
Il suffit en effet qu’un seul Etat soit volontaire pour que l’amendement soit porté à l’agenda et que 81 Etats votent en sa faveur pour qu’il soit retenu. Nous menons donc un plaidoyer diplomatique à l’heure actuelle pour que des Etats comme l’Equateur en procès contre Texaco Chevron ou des Etats insulaires victimes du changement climatique s’emparent de notre proposition.
Toutes les bases juridiques sont posées – ce dont nous avons besoin maintenant c’est d’une volonté politique et d’un vaste appui citoyen.
Notre mobilisation devient mondiale officiellement le 31 juillet 2014. End Ecocide in Europe devient End Ecocide on Earth, soutenez-nous en signant notre appel mondial !

- Surpêche : 400 tonnes de chinchard du Chili pêchées par un senneur chilien. -
Exemples d’écocides que vous pouvez retrouver sur notre site endecocide.eu :
1. La fracturation hydraulique
2. Rosa Montana en Roumanie
3. La surpêche
4.Tchernobyl
5. Le barrage d’aluminium d’Ajka en Hongrie
6. L’assèchement de la rivière du Parc National de Mavrovo en Macédoine
7. La déforestation de la forêt des Carpates en Europe
8. L’extinction des abeilles
9. La pollution du delta du Niger

Notes
1 - L’ICE permet à n’importe quel citoyen européen d’inviter directement la Commission européenne à présenter des propositions législatives. Elle doit être soutenue par au moins un million de personnes issues d’au moins sept pays sur les vingt-huit que compte l’UE.
2- Période à partir de laquelle l’influence de l’homme sur le système terrestre serait devenue prédominante.
3- Consulter l’Atlas des conflits élaboré par the Environmental Justice Atlas : Mapping ecological conflicts and spaces of resistance. EJOLT sur ejatlas.org/

Source : Ma vérité sur.com
Valérie Cabanes est juriste porte-parole du mouvement européen End Ecocide.
Photos :
. Chapô : Pixabay (CC 0 1.0 - Domaine public)
. Gaz de schsite : Wikimedia Commons (Crédit : Ruhrfisch / CC BY-SA 3.0)
. Surpêche : Wikipedia (Crédit : C. Ortiz Rojas / Domaine public)
. Mine de Hambach : Wikipedia (Crédit : Johannes Fasolt / Domaine public)

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Frédéric, 47 ans et citoyen du monde.