La Russie en proie à des incendies catastrophiques
Le Monde
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Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Les maisons en bois paraissent dévastées, comme si elles avaient été
bombardées, tandis que sur les routes couvertes de cendres, de rares
véhicules circulent dans un paysage lunaire. Les vidéos amateur postées
sur le site Internet YouTube offrent une vision saisissante des
gigantesques incendies de prairie qui ont ravagé, depuis le 12 avril,
des milliers de kilomètres carrés dans la province de Khakassie, dans le
sud de la Sibérie. Et déjà, d’autres alertes ont été lancées en
Transbaïkalie, une région montagneuse du sud-est de la Russie, au-delà
du fameux lac Baïkal, mais aussi dans la région Amour, le long de la
frontière chinoise, où le service fédéral des forêts a recensé, mercredi
15 avril, dix-huit incendies sur une surface totale de 24 000 hectares.
Mardi, Greenpeace Russie a lancé une pétition qui a récolté près de
8 000 signatures en quelques heures, pour réclamer davantage de moyens
dans les régions.
« La dissimulation des informations sur les
incendies, la réaction tardive pour les éteindre et la crainte de faire
appel aux instances supérieures sont les trois principales raisons qui
ont déjà conduit à de nombreuses catastrophes », souligne
le texte de l’ONG. En Khakassie, la situation, dramatique, éveille les
souvenirs cauchemardesques de l’été 2010 durant lequel une cinquantaine
de personnes avaient péri lors d’incendies dans l’ouest et le nord-est
du pays. Cette fois, en Sibérie, 23 personnes sont mortes, trente
villages ont été rasés, plus de 5 000 personnes ont perdu leur
habitation, des dizaines de milliers d’hectares sont partis en fumée et,
comme en 2010, l’état d’urgence a été décrété en plusieurs endroits.
Messages apaisants contredits
Les messages apaisants du ministère russe des situations d’urgence selon lequel, mardi soir, la situation était « sous contrôle »
et les incendies partout maîtrisés, sont contredits par les témoignages
de particuliers. Le même jour, des habitants de Tchita, la capitale de
Transbaïkalie, diffusaient des images de la ville noyée sous une épaisse
fumée rouge. Un peu plus loin au sud, un automobiliste a filmé des
voitures qui zigzaguaient dangereusement entre les flammes sur une
route. Dans cette région, trois personnes dont un enfant de 3 ans
figurent parmi les victimes, selon les autorités locales.
En
réalité, plusieurs provinces du sud et de l’extrême est de la Russie
sont touchées. Et si la situation semble bien s’être calmée en
Khakassie, il n’en va pas de même ailleurs. A plus de 7 000 kilomètres
de Moscou, dans la soirée de mercredi, un mur de feu était ainsi visible
depuis Blagovechtchensk, la capitale de la région de l’Amour, tandis
que dans la région voisine de Bouriatie, l’agence forestière locale
signalait pour sa part, mercredi, 41 incendies et départs de feux.
Les agriculteurs sont habitués à « nettoyer » leurs champs à la sortie de l’hiver en brûlant des herbes
Pour
la plupart, ces derniers sont dus à l’imprudence d’agriculteurs
habitués à « nettoyer » leurs champs à la sortie de l’hiver en brûlant
des herbes. Des températures élevées pour la saison – 25 0C en Khakassie au moment du départ des feux – et des vents forts ont fait le reste. « C’est
une catastrophe, ce qui s’est passé là-bas, mais ce qui nous inquiète
le plus aujourd’hui, c’est la Transbaïkalie. Il nous est encore
difficile d’évaluer la superficie détruite, mais une estimation modérée
fait déjà état de 150 000 hectares, et nous nous attendons à une
aggravation dans la région Amour », assure Alexeï Iarochenko,
responsable du département des forêts à Greenpeace Russie. Le service
des forêts de Transbaïkalie évalue pour sa part à « 104 000 hectares », la surface déjà en proie aux flammes.
« Les gardes forestiers n’ont pas d’argent »
« Le printemps vient de commencer, et il y a déjà des victimes », déplore Greenpeace, qui dénonce la « combustion d’herbes » et met en cause « la négligence des autorités ». « Chaque jour devient de plus en plus chaud, souligne l’organisation. Des
gens mettent le feu à cause d’idées fausses mais il n’est pas trop
tard, les gouverneurs des régions peuvent encore prendre des mesures. »
« Or, poursuit Alexeï Iarochenko, rien n’a changé, et les
moyens font toujours défaut. Le code forestier adopté en 2006 est
complètement inefficace, comme l’ont déjà démontré les incendies de
2010, mais le gouvernement ne veut pas admettre ses erreurs. Le
ministère des situations d’urgence est en soi une énorme structure, mais
qui formellement n’est même pas responsable des forêts, alors que les
gardes forestiers, eux, n’ont pas d’argent. » Depuis le 12 avril,
le ministère a annoncé le déploiement de plus de 6 000 hommes pour
combattre les incendies. Huit avions et hélicoptères, des trains à
incendie ont été mobilisés. Mais pour beaucoup, ces interventions sont
souvent trop tardives.
Le phénomène n’est certes pas nouveau en Russie, où l’on parle même de « saison des feux »,
et l’approche de l’été, période généralement propice aux incendies
particulièrement dangereux et difficiles à éteindre quand ils se logent
dans la tourbe, ajoute à l’inquiétude, avec son cortège de conséquences
sur l’environnement et la santé de la population. En 2010, à la suite de
feux provoqués par une chaleur sans précédent, 11 000 décès
supplémentaires avaient été enregistrés à Moscou en deux mois.
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Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Correspondante à Moscou
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