La course aux terres agricoles en Afrique
Par Jean Serjanian (avec agences) | Publié le 19/06/2012 à 17H57, mis à jour le 15/11/2012 à 16H02
Gabon : champs convertis à la culture du palmier à huile dans la luxuriante forêt de Kango, à 60 km de Libreville.© AFP PHOTO / XAVIER BOURGOIS
L'achat massif de terres arables par certains pays et
investisseurs privés dans des zones pauvres présente une menace à la
fois pour le développement et la sécurité alimentaire des régions
concernées, en Afrique et en Asie, notamment. Le sujet n'est pas à
l'ordre du jour officiel du sommet de l'ONU sur le développement durable
Rio+20 du 20 au 22 juin, mais il y est porté par les ONG.
Marché en pleine expansion,
les achats de terres agricoles par des étrangers en Afrique et ailleurs
dans le monde sont devenus un motif d’inquiétude.
De nombreux observateurs considèrent qu’ils équivalent à une forme
moderne de colonialisme et qu’ils menacent la sécurité alimentaire des
populations pauvres.Les Chinois, Indiens, Coréens du Sud et les économies pétrolières du Golfe sont à la recherche de terres étrangères pour répondre à leurs besoins croissant de production alimentaire. Les pays occidentaux, eux, sont intéressés par les opportunités de production pour leurs biocarburants.
En théorie, les transactions de terres agricoles peuvent constituer une chance hypothétique pour un pays pauvre avec une faible densité de population d'acquérir des nouvelles technologies, des formations et des capitaux. En pratique, le marché des terres est souvent entaché de corruption et entraîne des dégâts environnementaux.
Planète à vendre
(extrait du documentaire d'Alexis Marant diffusé le 19-04-2011, 5min.51)
Entretien avec Alexis Marant, réalisateur de Planète à vendre (7min46)
Un marché en pleine expansion
Selon le Land Matrix Project, un groupe international de surveillance des acquisitions importantes de terres étrangères, 203 millions d'hectares (huit fois la taille de la Grande-Bretagne) sont passés sous contrôle étranger entre 2000 et 2010, via des ventes ou locations de longue durée. 66% des transferts concernaient l'Afrique, 14% l'Asie. Mais les experts soulignent l'opacité de ce marché.
L'Afrique en première ligne
Depuis l’an 2000, 5% de l’espace africain cultivable a été concédé à des investisseurs étrangers, notamment en Afrique de l’Est (Tanzanie, Soudan, Mozambique) et centrale (RDC, Cameroun), mais aussi à l’Ouest (Sierra Leone, Nigeria, Mali, Sénégal). Elle représente la principale zone recherchée, avec une accélération en 2009-2010, pour un total de 56 millions d’hectares vendus, soit l’équivalent de la superficie du Kenya. La plupart des projets concernent des cultures alimentaires, mais pour des productions destinées à l'exportation.
Les principaux investisseurs sont l'Inde en Ethiopie, la compagnie chinoise ZIE International en République démocratique du Congo et le coréen Daewoo à Madagascar. Les pays les plus courtisés sont la RDC (2e au niveau mondial, avec 8 millions d'hectares), l'Ethiopie (3e avec 5,3 millions d'hectares), le Soudan (7e) et Madagascar (9e).
Acquisitions de terres agricoles en Afrique © AFP
Risques accrus de tensions
La course aux surfaces agricoles en Afrique est une bombe à retardement sur un continent qui ne mange pas partout à sa faim.
Ces investissements, difficiles à quantifier, provoquent déjà des tensions. Les plus spectaculaires ont eu lieu à Madagascar où le groupe sud coréen Daewoo espérait acquérir 1,3 million d'hectares pour y faire pousser la moitié de ses besoins en maïs. Le tollé provoqué par cette transaction, finalement annulée, a contribué à la chute du président Marc Ravalomanana début 2009. Mais la ruée continue ailleurs en Afrique, alors que le continent noir aurait besoin de tripler sa production alimentaire d'ici 2050 pour nourrir sa population en hausse rapide.
Directives de la FAO
Cet accaparement de terres arables suscite la polémique en particulier depuis la flambée des prix alimentaires de 2008. Face à cette situation, le comité de sécurité alimentaire mondiale de la FAO a adopté, le 16 mai 2012, des directives pour encadrer l'achat de terres à travers le monde, une première saluée par les ONG qui ont regretté cependant que les mesures préconisées ne soient pas contraignantes.
Le document final d'une quarantaine de pages, qui concerne aussi les forêts et les zones de pêche, insiste sur les droits des peuples autochtones, l'égalité des sexes pour l'accès aux terres et l'importance de l'information des populations. Il appelle en outre «les investisseurs privés à respecter les droits de l'Homme et de propriété légitime».
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