Les eaux souterraines à l'épreuve du réchauffement climatique
Le Monde.fr
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Par Pierre Le Hir
Début avril, 83 % des nappes d'eau souterraines de l'Hexagone
affichaient un niveau égal ou supérieur à la moyenne de la période
1981-2010. C'est ce qu'a indiqué, jeudi 16 avril, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), chargé de ce suivi. Une situation « plutôt favorable »,
donc, même si elle n'égale pas les niveaux exceptionnels (un excédent
global de 20 %) atteints les deux années précédentes, arrosées par de
fortes précipitations.La carte de France des eaux profondes est toutefois contrastée. Le
Sud-Est, le bassin Artois-Picardie, l'amont pyrénéen et la Corse ont les
sous-sols les plus humides, tandis que l'Est du territoire (Alsace et
Champagne-Ardenne) est en déficit par rapport à la normale. Dans ces
régions, « la situation ne devrait pas beaucoup s'améliorer sauf précipitations prochaines ».Le niveau de remplissage des aquifères au début du printemps est
primordial, car il se stabilise ensuite avant de connaître une décrue
généralisée. L'essentiel de la recharge se fait en effet entre les mois
de septembre et avril, lorsque les pluies, en général plus abondantes,
ne « retournent » pas vers l'atmosphère du fait de l'évaporation et de
la transpiration des plantes (l'évapotranspiration), mais s'infiltrent
dans les sols. D'où leur appellation de « pluies efficaces ».
Baisse générale de la recharge
« Le niveau actuel des réservoirs souterrains permet d'envisager sereinement la prochaine période estivale », celle où ces réservoirs seront le plus sollicités pour l'irrigation des cultures, estime donc le BRGM. « Rien n'est joué, souligne néanmoins Philippe Vigouroux, hydrogéologue. Il faut rester vigilant dans certaines régions. »
Vigilant, surtout, pour l'avenir. Le BRGM s'est projeté vers
l'horizon 2070, en retenant le scénario d'une hausse des températures de
l'ordre de 2° C. Les modèles montrent qu'en raison d'une
évapotranspiration accrue et de l'assèchement des sols, conditions
défavorables aux infiltrations d'eau en profondeur, les aquifères
métropolitains connaîtraient « une baisse quasi générale de la recharge en eau, comprise entre 10 % et 25 % ».
Deux zones seraient plus sévèrement touchées : le bassin de la Loire,
avec un recul de 25 % à 30 % sur plus de la moitié de son bassin
versant, et surtout le Sud-Ouest, avec une chute de 30 % à 50 %.
Ces
projections globales, qui doivent être affinées par de futures
modélisations régionales, sont préoccupantes. Sur les 100 milliards de m3 de ressources aquatiques souterraines de la France - ses « réserves cachées » -, près de 34 milliards de m3
sont prélevés chaque année pour répondre à différents besoins:
principalement l'alimentation en eau potable, dont près des deux tiers
proviennent des aquifères, mais aussi l'irrigation et les usages
industriels.
Mieux gérer la ressource
Ce n'est pas tout. Nappes et rivières sont en connexion et des
échanges d'eau se font dans les deux sens. La diminution de la recharge
des premières pourrait ainsi entraîner une forte baisse du débit moyen
des cours d'eau, de 10 % à 40 % dans la moitié nord du pays et de 30 % à
50 % dans la moitié sud, avec même, localement, des extrêmes de 70 %.
En outre, dans les zones côtières où les aquifères sont en contact avec
les eaux marines, la baisse du niveau des nappes, conjuguée à la hausse
des océans due au réchauffement, pourrait provoquer, en vertu du
principe des vases communicants, la salinisation des réservoirs
souterrains d'eau douce.
Autant d'impacts qui, estime Serge Lallier, directeur adjoint eau-environnement au BRGM, doivent « être pris en compte dans les politiques de développement et d'aménagement du territoire, ainsi que les pratiques agricoles ». La ressource souterraine étant appelée à se raréfier, « il conviendra d'optimiser sa gestion et de mieux répartir les prélèvements dans l'espace et dans le temps ».
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Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
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