Etats-Unis : premières mesures contre les pesticides tueurs d’abeilles
Le Monde.fr
|
• Mis à jour le
|
Par Stéphane Foucart
Neuf mois après le lancement, par décret présidentiel, d’une « stratégie fédérale pour la santé des abeilles et des autres pollinisateurs », les Etats-Unis prennent leurs premières mesures de restrictions des insecticides dits « néonicotinoïdes ». Dans une lettre
adressée début avril aux firmes agrochimiques, l’Agence de protection
de l’environnement (EPA) américaine prévient qu’elle ne délivrera plus
d’autorisation de mise sur le marché de nouveaux produits contenant des
molécules de la famille visée (imidaclopride, thiaméthoxame, etc.).
Celles-ci sont suspectées d’être les éléments déterminants du déclin des
abeilles domestiques et des insectes pollinisateurs et,
vraisemblablement, d’une variété d’autres organismes (oiseaux,
organismes aquatiques…).
Ce
moratoire sur les nouveaux usages de ces substances s’applique au
niveau fédéral, mais il fait suite à plusieurs initiatives locales, en
particulier dans les Etats de l’Oregon et de Californie, visant à
restreindre l’usage de ces substances controversées, notamment sur les
terrains publics. « Il ne fait aucun doute que ces produits toxiques tuent nos pollinisateurs,
a déclaré Lori Ann Burd, directrice pour la santé environnementale du
Centre pour la diversité biologique, dans un communiqué. Nous louons l’EPA de l’avoir reconnu et d’avoir pris cette décision, même s’il faut aller plus loin. »
Laxisme
Régulièrement
accusée par les apiculteurs et les organisations non gouvernementales
de laxisme en matière d’évaluation des risques des pesticides, l’EPA a
été la cible de plusieurs poursuites en justice. En particulier, selon
un rapport publié en mars 2013 par l’ONG Natural Resources Defense Council (NRDC),
l’EPA a utilisé, de nombreuses années durant, une procédure
d’autorisation temporaire pour donner un agrément de facto permanent à
une grande part des pesticides actuellement sur le marché américain.
Dans de nombreux cas – en particulier celui de plusieurs
néonicotinoïdes –, les études d’évaluation du risque environnemental et
sanitaire n’ont pas été menées par l’agence.
Dans
sa lettre, l’EPA précise ainsi qu’elle attend des firmes agrochimiques
des données sur les effets de leurs produits sur les pollinisateurs. A
partir de ces données, l’agence ajoute qu’elle conduira – mais plus
vingt ans après leur mise sur le marché – une évaluation du risque
présenté par ces substances avant de forger son opinion à leur sujet.
Moratoire en Europe
De l’autre côté de l’Atlantique, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)
a mené en 2013 une telle évaluation, qui a conduit à la mise en place
d’un moratoire partiel de deux ans sur les principaux néonicotinoïdes,
touchant le territoire des Vingt-Huit. En France, l’un des premiers pays
à avoir restreint leur usage, un amendement au projet de loi sur la
biodiversité, visant à les interdire définitivement du territoire
national, a été adopté le 19 mars.
La
décision américaine, très en retrait par rapport à celle de la
Commission européenne, est confortée par une étude publiée dans la
dernière édition de la revue Environmental Science & Technology.
Conduits par Margaret Douglas et John Tooker (université de
Pennsylvanie, Etats-Unis), ces travaux permettent de retracer
l’intensité de l’utilisation des néonicotinoïdes depuis leur
introduction, en 1993. De telles statistiques n’avaient jamais été
tenues par les autorités américaines, et les chercheurs ont dû
solliciter d’autres sources – des bases de données publiques croisées
avec des informations issues de l’industrie – pour établir l’histoire de
l’usage de ces molécules aux Etats-Unis.
La courbe montre une utilisation d’abord très marginale, puis une
forte croissance dès l’année 2003, c’est-à-dire précisément un an avant
que les apiculteurs américains ne rapportent des mortalités anormales
dans leurs cheptels. « Les régulateurs, les semenciers, les
agriculteurs et le public pèsent les coûts et les bénéfices de
l’utilisation des néonicotinoïdes, a déclaré Mme Douglas. Mais
ce débat se tient en l’absence de l’information de base, à savoir
quand, où et comment ces molécules sont utilisées… Notre travail permet
d’être informés sur ces éléments fondamentaux relatifs à l’usage des
néonicotinoïdes. »
Journaliste au Monde
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire